Je m'avance peut-être, mais il me semble que la consolidation des réseaux criminels, et plus spécifiquement de traffic, s'est stabilisée au début de la dernière décennie en IDF. Je ne peux pas parler pour Marseille et autres foyers de traffic, j'y ai pas vécu.
Dans le contexte post-Sarkozy de plus en plus permissif, les réseaux se sont rodés et enracinés avec leurs routes d'appro, réseaux de distri, partage des territoires... et les forces de l'ordre ne semblent jouer qu'un rôle de contrôle plutôt que de lutte à proprement parler, pour maintenir le statut quo et éviter les débordements. Peut-être parce que le traffic a presque abandonné les drogues dures (sauf la C qui a explosé, mais c'est une exception que je laisserai de coté) ? Ou parce qu'ils préfèrent que le game soit tenu par des acteurs identifiés dont les habitudes sont connues ?
D'après mes observations en 20 ans dans un foyer de traffic de stup dans les Hauts de Seine, la réduction drastique du traffic de quartier, et par conséquent l'écosystème de délinquence qui le maintient et s'en nourrit, ne s'est pas faite à travers les raids policiers et les perquisitions, bien qu'il y en ait eues. Ce sont surtout des mesures de décloisonnement et de développement économique, à travers respectivement des politiques d'aménagement ciblées et une gestion holistique et intégrée des services publics essentiels, qui ont permis d'asphyxier la petite criminalité. Je doute fort que ce nouveau paradigme ait été conçu de façon intentionelle par l'administration ; je le soupçonne plutôt d'émerger de la désillusion causée par les 2 doctrines qui s'opposaient radicalement à l'époque. La délinquence était à son paroxisme à l'ère du tandem karcher sarkoziste/développement culturel SOS racisme. Ni la pression policière ni le réflexe gauchiste (hérité du communisme?) d'innonder les banlieues de millions de subventions pour """""l'accès à la culture"""" (=le financement de milieux """artistiques""" exclusivistes, décadents et insipides) n'a donné de résultat, et il semble que l'approche plus lente mais pragmatique qui lui a succédé a connu un succès qui ne manque pas d'impressionner par le contraste de certains quartiers où l'immobilier a triplé alors que c'était des squats à héroïne sous Chirac.
La délinquence a beaucoup de mal à reconquérir ces territoires innervés par le réseau de transport et assez avides de développement économique. Un ami à moi y a ouvert 2 salons de coiffure assez rentables, ses cousins éloignés tiennent un kebab qu'une clientèle étudiante fréquente attirée par une relative tranquilité.
Toutes proportions gardées, je pense comprendre pourquoi les Américains natifs ont combattu aussi férocement le chemin de fer. Ça défigure et reconfigure un territoire avec une facilité déconcertante.
La compétition la plus forte à laquelle se frottent les traffiquants de quartier me semble être le CBD et les antidépresseurs. Je me souviens encore de l'incursion de morceaux de Rap gangsta dans les lecteurs MP3 des filles au lycée alors qu'il s'agissait quelques années avant d'un marqueur social assez univoque. Cette prolifération coïncide avec le glissement progressif des rappeurs des thèmes de Thug Life vers celui des drogues récréatives et la promiscuité, qui s'est fait en 2 temps: l'introduction du vocodeur par T-Pain au début des 2000 et l'intégration progressive de codes musicaux du Zouk dans la Pop et même le Rap.
L'essor de la culture 420 a vu en quelques années une réduction drastique des produits résineux bas-de-gamme souvent coupés avec des solvants chelou au profit de produits plus purs et potents issus de techniques d'extraction hollandaises et canadiennes.
Les traffiquants ont aussi tiré des leçons de profitabilité: l'immiscibilité culturelle des banlieues fournit certes un environnemet relativement abrité pour conduire son biz, mais aucun argument raisonnable (aux yeux d'un traffiquant en tout cas) ne peut justifier de se contenter d'un bassin de dissipation aussi limité lorsque la demande est également présente ailleurs. Les mosquées poussant comme des champignons en banlieue, ils ont dû voir que les marées de radicalisation religieuse, surtout chez les jeunes connectés, ne présagent pas une évolution très favorable du chiffre d'affaire dans ces zones marquées culturellement ; à l'inverse des régions désindustrialisées fortement touchées par le chômage: la France profonde, qui avait traditionellement pour refuge chimique le vin, dont le prix a le désavantage d'être sous les feux croisés de l'inflation et de la taxation.
Les derniers éclats de violence dont je me souviens étaient liés à l'introduction d'un nouveau type de gibier sur l'échiquier: les Tchéchènes et les Albanais attirés par l'appel d'air causé par la négligence par les réseaux africains du secteur de l'héroïne et des cachetons. La non-miscibilité culturelle des concernés empêche la coopération et la coordination, sachant que contrairement à la culture "coporate" globohomo, l'inclusivité et la lutte contre le racisme ne sont pas vues comme des priorités dans un milieu sous-tendus par le chantage, la menace, la cupidité et qui baigne en permanence dans la traitrise et le parjure.
Je citerai par exemple les tensions qui ont culminé à l'époque du confinement, et qui avaient laissé apparaître des armes automatiques sur les réseaux sociaux et même des attaques au véhicule bélier.
J'ai eu vent d'autres évènements moins spectaculaires ayant résulté de tensions communautaires entre les criminels gitans et maghrébins qui se disputaient l'usufruit de la cité Mirail, à coté de Toulouse. Les autorités ont instrumentalisé l'attribution et la réattribution de logements sociaux pour relocaliser diverses familles et les distribuer de façon à éviter les tensions.
Cela n'a pas réglé l'origine du problème, ni l'origine de son origine, mais l'escalade a été avortée dans l'œuf.